Ma course effrénée ne cessera jamais. Les larmes ne coulent plus désormais, juste la haine, si forte, si profonde et tenace. J’essayais tous les moyens pour mettre fin à ces regrets. Mettre fin à la monstruosité que j’avais accompli. Papa ne me regarde plus. Mais moi aussi je lui en veux, d’avoir osé garder les bras croisés, devant sa femme qui se faisait battre. Plus rien ne me rattachait à lui désormais, si ce n’est Zora. Elle était l’intermédiaire silencieuse. Le seul espoir qui restait. Ma raison de ne pas sauter sous le premier train. Ma Zora.

Emmitouflé dans l’obscurité de la pièce, j’effectuais encore ce même geste. Balayant la poudre, j’ajoute ces produits toxiques qu’ils me demandent de mettre, comme toujours. Mes yeux restent figés sur la marchandise, sans vraiment la regarder. Je ne touche pas à cela, mais, un jour je sais que peut-être je cèderais. Parce que ça rend la vie plus facile, il parait. Elle me regarde. De ses yeux clairs et profonds. Elle s’approche et prend mes mains. Je lève lentement la tête vers elle. Je sens qu’elle n’est pas heureuse, je le sais et c’est le cas depuis si longtemps déjà. Elle est à bout. « ça devient trop dur Jed. » Impuissant, j’amène sa tête vers mon torse en lui caressant les cheveux, sans un mot. Nous n’avions pas besoin de mots, nous communiquions par la pensée. C’était suffisant. Alors je souhaitais que ce moment ne cesse jamais. Que la menace de la rue ne reviendrait pas, que le temps s’arrête ou alors, qu’on puisse recommencer de zéro. Mais malheureusement, il n’y avait de place que pour l’amère sensation de la douleur.


Le soleil est lourd mais, rien n’est plus lourd que le passé que nous laissons derrière nous. Plus de paroles, plus de bruit. La musique seule suffisait à apaiser nos songes. Les tensions s’échappaient peu à peu. Ma main sur le volant se détendait, tant dis que je prenais enfin conscience de l’air qui caressait mon visage. Elle posa sa main sur la mienne. Elle aussi ressentait ce qu’il se passait à ce moment précis, comme toujours en fait. Je tournais ma tête pour la regarder. Un sourire osait enfin se dessiner sur mon visage. Je ressassais nos années de peine, nos années de galères, tout ce que nous laissions derrière nous. Je repensais à ma mère et à sa tombe, loin de moi. Mais mon amour était assez fort pour qu’elle le ressente de là haut. « Arrête de penser à ça. Regarde là bas ! » devant nous s’étendait une magnifique plage de sable fin. Les rayons orangés effleuraient les vagues. Mes yeux brillaient d’excitation. Embrassant ma sœur sur le front, je pris sa main dans la mienne, la tirant vers la mer. Pour la première fois depuis plus de dix ans, nous pouvions enfin prétendre au bonheur.